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Linda Ellia est peintre et photographe. À partir de vendredi, elle expose, au Mémorial de Caen, des pages du livre Mein Kampf, d’Hitler, qu’elle a distribué à des inconnus ou des artistes, en leur proposant d’utiliser ces feuilles comme moyen d’expression…
Tout est parti de la découverte de votre fille. Elle a trouvé un exemplaire de Mein Kampf dans une cave et vous l’a montré. Qu’avez-vous ressenti ?
J’ai été profondément remuée. J’ai ressenti une forte injustice. Il fallait que je fasse quelque chose après la découverte de ce livre. Pendant trois mois, j’ai pratiquement perdu le sommeil. Et j’ai vu le film de Claude Lanzmann, Shoah… J’ai alors commencé à écrire de la prose sur du papier blanc. J’en suis venue à travailler directement sur les pages de Mein Kampf pour manifester ma résistance. Je voulais répondre à Hitler pour ne pas qu’il ait le dernier mot. J’ai commencé par dessiner une femme qui hurle au marqueur rouge. J’en ai éprouvé un tel plaisir que j’ai continué sur une trentaine de pages. L’émotion véhiculée par l’art est une arme redoutable…
Et vous avez ensuite passé le flambeau à des inconnus…
Effectivement… Je voulais en finir avec ce livre et le maculer jusqu’à la dernière page. C’est alors que j’ai pensé aux autres. C’était un challenge de proposer cela à des personnes ne connaissant pas l’art. Leurs travaux constituent à mes yeux de réels chefs-d’oeuvre. Dans un café ou dans la rue, je scrutais les gens, j’étais en chasse. Je leur expliquais ma démarche en essayant de ne pas les effrayer. J’ai ainsi récolté des pages du monde entier grâce notamment au bouche à oreille. Bien sûr, les pages distribuées ne me sont pas toutes revenues. J’ai dû racheter trois exemplaires de Mein Kampf. D’ailleurs, je continue à recevoir des pages. J’ai également proposé à des artistes qui me touchaient de participer, comme Enki Bilal, Gérard Garouste (un peintre), Christian Lacroix…
Vos pages ont été exposées en Suisse, à San Francisco au Contemporary Jewish Museum et maintenant au Mémorial de Caen…
C’est Stéphane Grimaldi, le directeur du Mémorial, qui m’a contactée, et je l’en remercie. Il a été touché par mon travail. Des pages de Mein Kampf ont d’ailleurs été distribuées aux dessinateurs de presse qui ont participé à l’événement Cartooning for peace. Leurs pages aussi seront exposées.
Parmi toutes les feuilles que vous avez reçues, certaines d’entre elles vous ont-elles plus marqué ?
C’est difficile de choisir. Elles étaient toutes très fortes en émotion. Celles de Gérard Garouste m’ont bouleversée. Je pense également à celle d’Anaïs. Elle a acheté des lunettes d’époque, en a collé cinq sur la page, et elle a brisé le dernier verre. Une couturière a également fabriqué un cercueil d’Hitler et a recouvert la partie intérieure d’un tissu imprimé de la page. Une autre a cousu le visage d’Anne Franck…
Propos recueillis
par Cynthia Poullard
• Du 1er juillet au 31 décembre, au Mémorial de Caen, esplanade Général Eisenhower, à Caen. Tél. 02 31 06 06 45. Tarif : 5 euros. « Notre combat » publié aux éditions du Seuil.
Source :
http://www.cotecaen.fr/2011/06/28/exposition-a-caen-sa-reponse-a-%C2%AB-mein-kampf-%C2%BB/[:]