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« Ulrich Sieber, professeur de droit pénal, de droit de l’information et d’informatique juridique Université Ludwig-Maximilians, Munich
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La haine se propage sur Internet. Peut-on lutter contre ce phénomène ? Et si oui, comment ? Quels sont les moyens techniques, juridiques et stratégiques dont nous disposons ?
La formidable ubiquité d’Internet en fait un outil idéal d’information et de commerce. Cet atout n’a, hélas, pas échappé aux criminels. Les utilisations d’Internet à des fins criminelles sont légion : piratage, espionnage industriel, sabotage, escroqueries, violations des droits d’auteur, jeux de hasard illicites, trafic de drogue, de médicaments et d’armes. Le web se prête également à la circulation de contenus pédophiles. C’est aussi un véhicule employé pour publier toute une littérature d’incitation à la haine.
Des groupuscules néo-nazis exploitent le réseau mondial pour propager leur idéologie. Leurs campagnes, ciblées sur le jeune public, incitent à la violence raciale et se font l’écho de contre-vérités révisionnistes sur la Shoah. Sur certains sites, on peut même télécharger des chants de haine et des jeux pour enfants – l’un d’eux, par exemple, propose à l’enfant de se mettre dans la peau d’un commandant dans un camp de concentration.
Il est souvent impossible d’incriminer directement les producteurs de ces sites, tout autant d’ailleurs que les auteurs d’autres types d’abus sur Internet. Cela s’explique essentiellement par le caractère anonyme de la publication sur Internet, qui rend difficile l’identification des responsables. Et si l’on parvient à remonter jusqu’à eux, les recherches aboutissent souvent à un pays étranger, où les poursuites supposent de laborieuses procédures d’entraide judiciaire et d’extradition. Celles-ci s’avèrent du reste tout à fait inopérantes si les agissements pour lesquels les personnes sont poursuivies sont licites dans leur pays de résidence. Ce problème se pose avec une particulière acuité lorsque la diffusion émane des États-Unis, où de tels agissements sont non seulement licites, mais aussi protégés par la liberté d’expression.
Jusqu’à présent, les États soucieux d’intervenir contre des contenus illégaux consultés depuis leur territoire ont adopté deux approches : soit ils tentent de se protéger en bloquant l’accès au contenu sur leur territoire national, soit ils tentent d’étendre leur compétence pénale au territoire d’où est diffusé le contenu. C’est la première solution qui a été retenue en Allemagne, lorsque la direction du fournisseur de services Internet CompuServe Deutschland a été mise en demeure de filtrer les contenus pédophiles diffusés depuis les États-Unis à l’intention des internautes allemands. La France a choisi la deuxième solution dans une affaire très discutée, dans laquelle un juge français a exigé de la société américaine Yahoo qu’elle empêche l’accès des utilisateurs français à des sites américains vendant des objets nazis, notamment en bloquant cet accès aux numéros IP situés en France. De même, plus récemment, la Haute cour fédérale d’Allemagne, dans une décision du 12 décembre 2000, a condamné un citoyen australien pour avoir publié des messages mensongers révisionnistes et des propos d’incitation à la haine sur un site hébergé sur un serveur australien. Cet individu avait agi uniquement en Australie, mais il a été arrêté lors d’une visite en Allemagne.
Le but poursuivi par la justice dans ces trois affaires est le même : faire disparaître du web les contenus inadmissibles. Aussi justifiés qu’ils soient sur le plan moral, les jugements et les lois doivent prendre en compte les réalités techniques. Pour que le droit puisse être respecté, il faut d’abord qu’il ait une chance d’être appliqué. A défaut, les producteurs de contenus illégaux ne prendront pas au sérieux les risques de poursuites, ce qui suscitera le mécontentement de l’opinion et des responsables politiques. Ce qu’il faut, c’est trouver des solutions vraiment efficaces, et cela passe par un examen approfondi des moyens techniques qui s’offrent aux acteurs d’Internet, et en particulier aux fournisseurs de services Internet.
……….
Pour en savoir plus:http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/500/Combattre_la_haine_sur_Internet.html
Références :
Sieber, U., « Verantwortlichkeit im Internet », C.H. Beck eds, Munich 1999.
* Le professeur Sieber est l’avocat qui a obtenu l’acquittement du PDG de Compuserve Allemagne dans les poursuites devant le Landgericht de Munich. »
© L’Observateur de l’OCDE, Nº224, Janvier 2001
Des groupuscules néo-nazis exploitent le réseau mondial pour propager leur idéologie. Leurs campagnes, ciblées sur le jeune public, incitent à la violence raciale et se font l’écho de contre-vérités révisionnistes sur la Shoah. Sur certains sites, on peut même télécharger des chants de haine et des jeux pour enfants – l’un d’eux, par exemple, propose à l’enfant de se mettre dans la peau d’un commandant dans un camp de concentration.
Il est souvent impossible d’incriminer directement les producteurs de ces sites, tout autant d’ailleurs que les auteurs d’autres types d’abus sur Internet. Cela s’explique essentiellement par le caractère anonyme de la publication sur Internet, qui rend difficile l’identification des responsables. Et si l’on parvient à remonter jusqu’à eux, les recherches aboutissent souvent à un pays étranger, où les poursuites supposent de laborieuses procédures d’entraide judiciaire et d’extradition. Celles-ci s’avèrent du reste tout à fait inopérantes si les agissements pour lesquels les personnes sont poursuivies sont licites dans leur pays de résidence. Ce problème se pose avec une particulière acuité lorsque la diffusion émane des États-Unis, où de tels agissements sont non seulement licites, mais aussi protégés par la liberté d’expression.
Jusqu’à présent, les États soucieux d’intervenir contre des contenus illégaux consultés depuis leur territoire ont adopté deux approches : soit ils tentent de se protéger en bloquant l’accès au contenu sur leur territoire national, soit ils tentent d’étendre leur compétence pénale au territoire d’où est diffusé le contenu. C’est la première solution qui a été retenue en Allemagne, lorsque la direction du fournisseur de services Internet CompuServe Deutschland a été mise en demeure de filtrer les contenus pédophiles diffusés depuis les États-Unis à l’intention des internautes allemands. La France a choisi la deuxième solution dans une affaire très discutée, dans laquelle un juge français a exigé de la société américaine Yahoo qu’elle empêche l’accès des utilisateurs français à des sites américains vendant des objets nazis, notamment en bloquant cet accès aux numéros IP situés en France. De même, plus récemment, la Haute cour fédérale d’Allemagne, dans une décision du 12 décembre 2000, a condamné un citoyen australien pour avoir publié des messages mensongers révisionnistes et des propos d’incitation à la haine sur un site hébergé sur un serveur australien. Cet individu avait agi uniquement en Australie, mais il a été arrêté lors d’une visite en Allemagne.
Le but poursuivi par la justice dans ces trois affaires est le même : faire disparaître du web les contenus inadmissibles. Aussi justifiés qu’ils soient sur le plan moral, les jugements et les lois doivent prendre en compte les réalités techniques. Pour que le droit puisse être respecté, il faut d’abord qu’il ait une chance d’être appliqué. A défaut, les producteurs de contenus illégaux ne prendront pas au sérieux les risques de poursuites, ce qui suscitera le mécontentement de l’opinion et des responsables politiques. Ce qu’il faut, c’est trouver des solutions vraiment efficaces, et cela passe par un examen approfondi des moyens techniques qui s’offrent aux acteurs d’Internet, et en particulier aux fournisseurs de services Internet.
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Pour en savoir plus:http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/500/Combattre_la_haine_sur_Internet.html
Références :
Sieber, U., « Verantwortlichkeit im Internet », C.H. Beck eds, Munich 1999.
* Le professeur Sieber est l’avocat qui a obtenu l’acquittement du PDG de Compuserve Allemagne dans les poursuites devant le Landgericht de Munich. »
© L’Observateur de l’OCDE, Nº224, Janvier 2001
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