Par sa décision du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel a ouvert la voie à la promulgation, tout du moins, des dispositions du chapitre IV de la loi visant à conforter les principes de la République relatives à la lutte contre la haine en ligne. Si Respect Zone n’émet aucun avis sur l’opportunité de l’esprit qui a guidé la rédaction et l’adoption de ce texte, l’association souhaite néanmoins pointer quelques éléments d’intérêt pour le proche avenir de la lutte contre la haine en ligne qui est à présent placée sans aucune ambiguïté sous l’autorité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Il importe tout d’abord de noter que par cette décision, le Conseil constitutionnel estime implicitement que contrairement aux dispositions de la loi dite « Avia » sur lesquelles il avait eu à s’exprimer le 18 juin 2020, le texte actuel n’attente plus à la liberté d’expression du fait d’une délégation trop lâche à des acteurs économiques la mission de qualifier les contenus en ligne comme légaux ou illégaux.
A ce titre, Respect Zone salue l’initiative gouvernementale qui, en s’inspirant du projet du Digital Services Act de la Commission européenne, propose une régulation des espaces digitaux respectueuse de l’autorité du Juge, de la primauté des pouvoirs publics sur les acteurs économiques et prévenant, autant que possible, l’expansion des domaines des justice privées ou privatisées.
Aussi, Respect Zone encourage vivement les autorités françaises à allouer les moyens techniques, humains et financiers nécessaires au CSA dans l’exercice de ses nouvelles missions.
À la suite de ce premier point, deux autres éléments doivent être soulignés afin d’assurer l’effectivité du texte.
L’article 44 de la loi prévoit que les mineurs reçoivent à l’issue du primaire et du collège une attestation de sensibilisation aux bons usages des outils numériques afin de prévenir les cyberviolences et de développer dès le plus jeune âge des sociabilités numériques conformes aux règles s’appliquant dans la société hors ligne.
Respect Zone se félicite de l’adoption de cet article, grâce à l’action décisive de la députée Carole Abadie, qui rejoint l’une des propositions phares de l’association. Il nous semble urgent que le travail entrepris sur ces questions depuis plusieurs années par l’Éducation nationale, et particulièrement le CLEMI, s’ouvre plus largement aux partenaires associatifs à même d’enrichir la création de ces formations et d’épauler le Ministère dans le déploiement de ces formations afin d’en garantir le déploiement efficace et qualitatif dans l’ensemble des établissements scolaires concernés.
Enfin, le texte entend que certaines plateformes soient assujetties à des obligations particulières de transparence sur les moyens humains et techniques dédiés aux missions de modération du fait de leur caractère « systémique ». Cette caractérisation sera déterminée en fonction du dépassement d’un certain nombre de « connexions » émanant du territoire national qu’un décret doit préciser.
Respect Zone appelle le Gouvernement à adopter pour la définition de ce seuil une démarche ambitieuse nécessaire pour que ce texte produise ses effets sur la haine en ligne. Si le seuil retenu ne permet de désigner comme systémique que les principales plateformes connues pour l’heure, cette orientation reviendrait à accepter que croisse une nébuleuse de plateformes secondaires sur lesquelles la haine et la désinformation trouveraient refuge. Il est déjà connu que certains groupes extrémistes déplacent leurs activités digitales sur des plateformes encore peu utilisées en France (VKontakte, par exemple) ou bien n’hésitent pas à s’en créer certaines à leurs mains (Parler, Gettr,…).
Respect Zone encourage le Gouvernement à veiller dans la rédaction de ce décret d’application que le CSA aura la charge de faire respecter, à ce que :
- Le nombre de « connexions » soit quantifié en termes de MAU – Monthly Active Users ou utilisateurs uniques par mois
- Le CSA se voit autoriser à développer une technologie open source de curation de ces données, adoptable à terme par les autres régulateurs nationaux européens réunis au sein de l’ERGA après l’adoption du Digital Services Act. Le déploiement d’une telle technologie est essentiel pour assurer l’indépendance des régulateurs publics vis-à-vis des données fournies par les plateformes sur leurs propres activités ou par des entreprises privées spécialisées qui peuvent avoir des liens ou des intérêts dans la qualification comme systémique des plateformes.
- Le seuil de qualification d’une plateforme comme systémique soit placé à 5 millions d’utilisateurs uniques par mois (Jeux-vidéos.com atteint les 6,2 millions de MAU selon les chiffres de Médiamétrie repris par l’entreprise Webedia, propriétaire de la plateforme, par exemple).
- Dans l’hypothèse où il s’avère impossible de quantifier le nombre de MAU français du fait de mesures de privacy adoptées par la plateforme ou ses utilisateurs, une présomption de caractérisation comme systémique est acquise lorsque le nombre de MAU global atteint les 30 millions (Yubo, jeune plateforme française d’envergure, mais sans comparaison avec les géants que sont Twitter, Facebook, etc., revendique 40 millions d’utilisateurs).
En dernier lieu, Respect Zone invite le Gouvernement, lorsqu’il aura à transposer le Digital Services Act, à ce que la loi permette la réunion de l’Observatoire de la haine en ligne dans son format actuel mais également dans une forme restreinte de laquelle seront exclues les plateformes. Cet Observatoire restreint pourra ainsi concourir en tant qu’organe consultatif à l’action publique régulatrice menée par le CSA en émettant, notamment, des avis sur les rapports publiés dans le cadre du contrôle des plateformes et sur la définition du seuil caractérisant les plateformes systémiques ainsi que la méthode et les moyens employés pour quantifier le dépassement de ce dernier.
« Avec ce texte, la France se donne les moyens légaux de mener une politique de lutte contre la haine en ligne conjuguant « éducation, prévention » pour les utilisateurs avec « obligations de moyens » pour les plateformes. La France a voulu se présenter vis-à-vis de l’Union européenne comme le poste avancé de la lutte contre la haine en ligne tout en préservant la liberté d’expression. Il faut maintenant se donner pleinement les moyens de cette ambition ; ou, alors convaincus par notre échec, nos partenaires européens feront du DSA un texte aussi éthéré que ne le sont les univers digitaux » déclare Philippe Coen, président de l’association Respect Zone.