« J’appelle à ce que vous vous fassiez égorger », « c’est lui qui mérite l’exécution », « on aurait dû te laisser crever chez Daesh »… Ce ne sont là que quelques exemples parmi des milliers de menaces reçues récemment par l’ancien reporter français, Nicolas Henin, sur son compte Twitter, alors qu’il réagissait sur une actualité polémique. Un cyberharcèlement et un déferlement de violences verbales qui l’ont poussé à déposer une plainte contre X au parquet de Paris, a annoncé lundi 4 février son avocat.
Le harcèlement en ligne est un phénomène en expansion ces dernières années en France, selon une étude dévoilée mardi 5 février par l’association Respect Zone et TF1 Initiatives sur l’augmentation de la violence en ligne. Les résultats de cette enquête, réalisée par Netino by Webhelp et Dentsu Consulting, montre notamment une hausse de 10,3 % du nombre d’auteurs d’insultes sur les réseaux sociaux entre 2017 et 2018, ainsi qu’une forte augmentation du nombre de commentaires appelant à la violence sur la même période : +66,6 %. Au total, ceux-là représenteraient 9,5 % des commentaires présents sur les réseaux sociaux.
C’est sur ce constat de montée généralisée de la violence sur les plateformes que s’est créé en 2014 Respect Zone. À l’origine de la création de l’association, une question des deux enfants du président-fondateur Philippe Coen à leur père : « Que faire quand on est témoin d’une situation de violence sur les réseaux sociaux ? »
« Notre charte est la colonne vertébrale de notre action », explique Philippe Coen, également auteur d’un livre sur cette question, interrogé par France 24. « On a fait le choix d’une charte simple et courte. L’adopter, c’est affirmer son soutien à la liberté d’expression, au développement de l’esprit critique et au respect de la dignité humaine dans les espaces numériques, mais aussi physiques. »
Pour affirmer son engagement à faire de son espace numérique une zone de respect, l’utilisateur peut se labelliser « Respect Zone » en affichant le logo sur son profil ou son site Internet : « Quand on affiche le label, on s’engage à modérer les contenus de notre espace. Soit en supprimant, soit en répondant ou en calmant le jeu », continue le président de l’association. « Afficher le logo, c’est affirmer : ‘Moi, je m’engage à ne pas faire de mal, je vous demande de faire pareil’. On affiche ce qu’on attend de l’autre. Il ne s’agit pas de dire ‘Tais-toi !’, mais plutôt, ‘ce n’est pas le bon endroit’. » Plusieurs sites et médias l’ont déjà adopté, à l’instar du groupe TF1.
Respect Zone mise donc sur l’autorégulation des utilisateurs. L’originalité tient dans l’arsenal juridique mis en place pour faire respecter la bonne utilisation du logo dans un Internet globalisé : « Le constat, c’est qu’aujourd’hui, seul le droit des marques fonctionne à l’échelle mondiale. On a donc déposé notre logo. Ce visuel est associé à un cahier des charges. Si vous ne respectez pas le contrat associé à ce label, on est capable de lui retirer en 48 heures grâce à un référé », explique Philippe Coen. Le cas ne s’est pas encore présenté : « C’est une arme de dissuasion », affirme-t-il.
Miser sur l’éducation, un pari sur l’avenir
Le fondateur de Respect Zone note la difficulté à légiférer sur le numérique. Il relève deux obstacles : « Internet est un outil global. Il est difficile de donner une réponse locale à un problème global », détaille-t-il. « De plus, le processus législatif est lent, au contraire du numérique. Une loi sur le sujet, quand elle est promulguée, est déjà obsolète. »
Philippe Coen considère que le législatif gagnerait à s’éloigner du répressif : « Il faut que la loi prenne un rôle complémentaire de son rôle de répression habituel », souhaite-t-il. « Les lois pourraient aider à l’éducation. Une de nos propositions, c’est de mettre en place un tutoriel sur les bonnes règles du vivre-ensemble lorsqu’on achète un portable. On obligerait les utilisateurs, adolescents ou adultes, à répondre à un questionnaire. La loi pourrait obliger les opérateurs de télécoms à mettre en place ce dispositif. C’est une mesure simple, concrète. »
Cette nécessité d’éduquer au danger et aux bonnes pratiques sur les réseaux sociaux est un constat que partage Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert et déléguée spéciale à l’égalité femmes-hommes auprès de la présidente de la région Île-de-France.
« L’arsenal juridique est aujourd’hui suffisant. On peut faire condamner des harceleurs », explique-t-elle à France 24. « Cela se joue en amont. Il reste très difficile de porter plainte dans un commissariat par exemple. Il faut sensibiliser davantage les jeunes à ces problèmes. »
Selon une étude publiée le 20 janvier dernier par 20 Minutes, plus de la moitié des 18-30 ans (53 %) ont déjà subi au moins une situation de cyberviolence sur les réseaux sociaux. Un chiffre qui grimpe à 63 % chez les jeunes âgés de 20 à 24 ans, soit près de deux tiers d’entre eux.
Pour lutter contre cette prégnance du cyberharcèlement chez la jeunesse, le Centre Hubertine Auclert a créé le site Stop Cybersexisme, qui présente plusieurs guides des bonnes pratiques à destination des adolescents, mais aussi des parents, pour se protéger sur Internet. Il appelle aussi au développement de numéros de téléphone pour écouter les victimes de cyberviolences qui ne sont pas forcément prêtes à aller porter plainte. De son côté, l’association Respect Zone a labellisé des lycées et intervient dans les établissements scolaires pour faire un travail d’éducation et de prévention. Elle propose également des formations à la modération.
« On n’a souvent pas conscience que ce qu’on poste peut se retourner contre nous, ni conscience que tous nos messages sont publics, que des centaines voire des milliers de personnes peuvent les voir », explique Marie-Pierre Badré. « Les réseaux sociaux restent un merveilleux outil. Il ne faut pas décourager les jeunes à les utiliser. Cependant, il faut faire preuve de pédagogie sur le sujet. L’Éducation nationale devrait éduquer à ces dangers. »
Les femmes sont particulièrement exposées à la violence sur les réseaux sociaux : « Compte tenu de #MeToo, la société a commencé à évoluer, il y a désormais une certaine retenue qui n’existe pas sur les réseaux sociaux. Mais on reste malheureusement dans une société machiste. Il est facile d’insulter une femme sur Internet », se désole la présidente du Centre Hubertine Auclert. « Souvent, les gens ne se rendent pas compte du mal qu’ils infligent, qui peut aller du mal-être au suicide… »
Vers la fin de l’anonymat ?
Une des pistes de travail évoquées par Emmanuel Macron pour pacifier Internet est la levée de l’anonymat. Une solution qui ne convainc pas vraiment les deux experts interrogés par France 24.
« La levée de l’anonymat diminuerait certainement le taux de violences dans un premier temps. Mais ne nous voilons pas la face, une telle mesure serait très rapidement contournée et on reviendrait au point de départ », affirme Marie-Pierre Badré.
« On confond la pseudonymisation et l’anonymat complet. D’un côté, il s’agit de mentir complétement sur son identité, de l’autre, on veut apparaître sur les réseaux sous un nom différent que le nom de la carte d’identité », distingue pour sa part Philippe Coen. « Notre association revendique un droit à la transparence, on devrait, lorsqu’on s’enregistre sur un site, devoir donner sa vraie identité lorsqu’on peut faire mal à quelqu’un. Par contre, nous restons attachés au droit au pseudonyme, car il y a de multiples raisons pour laquelle le recours au pseudo se justifie. »
L’espoir de l’apaisement des discussions sur Internet est cependant permis. Le 4 février, la Commission européenne s’est réjouie des « progrès » réalisés par les plateformes depuis la création d’un code de conduite édicté par l’Union européenne. Près de trois quarts des contenus considérés comme des « discours de haine illégaux », notamment racistes ou xénophobes, sont désormais supprimés après leur signalement, contre moins d’un tiers au moment du lancement de ce « code » en 2016.
source : France 24